jeudi 15 mars 2007

Milieux humides

Dans la dernière livraison de Québec Oiseaux, notre ami Michel Préville fait état dans son éditorial d'une pratique hallucinante concernant la destruction de nos milieux humides planifiée et autorisé par Québec... Avec son autorisation, voici l'article en question. En prime, voir le dépliant destiné aux promoteurs souhaitant remblayer les milieux humides et titré, attention les yeux: "Une démarche équitable et transparente."

Régime sec

Les pressions directes d’élus municipaux et le lobby des constructeurs auprès des plus hautes instances du gouvernement du Québec semblent finalement avoir dicté les nouvelles règles qui permettront de poursuivre le remblayage des milieux humides. Une orientation qui aura de multiples impacts, notamment sur les nombreuses espèces d’oiseaux dépendant de ce type d’habitat pour se reproduire, se nourrir et se reposer lors des migrations.

Certes, la récente directive élaborée par le ministère du Développement durable assurera une certaine protection aux milieux humides de plus de cinq hectares dans les basses terres du Saint-Laurent et la plaine du lac Saint-Jean, ou de plus de dix hectares ailleurs. Cette protection relative contre tout remblayage sera également accordée aux milieux reliés à un cours d’eau ou à un lac, qui recèlent une tourbière ou qui abritent des espèces fauniques ou floristiques menacées. Mais la règle pourra parfois être contournée «si le demandeur démontre qu’il n’existe aucune solution de rechange raisonnable pour réaliser le projet ou pour le choix du
site».

Dans le cas des milieux humides de moyenne superficie sans lien hydrologique avec un cours d’eau ou un lac et sans espèces menacées, les lotisseurs et les producteurs agricoles auront beau jeu. Pour s’arroger la permission de détruire un tel milieu, ils n’auront qu’à acquérir ailleurs un site naturel d’égale valeur. En d’autres mots, le MDDEP n’aura aucun scrupule à sacrifier un milieu sur deux.

En ce qui concerne les marais et marécages de plus modeste superficie (moins de 5000 mètres carrés dans les basses terres du Saint-Laurent) qui ne sont pas contigus à un plan d’eau et qui ne constituent pas un refuge pour des espèces menacées, ils pourront être sacrifiés au profit du développement urbain et de l’agriculture, tout simplement. Ces milieux étant souvent des résidus de sites déjà modifiés, de manière illégale dans bon nombre de cas, cela revient à
décréter que le saccage pourra se poursuivre en toute impunité, comme depuis toujours.

L’agriculture, l’industrie, les villes et les villages n’ont cessé d’empiéter sur les territoires humides, à force de remblayage et de drainage. Pas moins de 80% de ces milieux ont été rayés de la carte dans la vallée du Saint-Laurent et plus encore autour des grands centres urbains. Raison de plus pour protéger intégralement le peu qui reste, estiment les écologistes.

Le mauvais sort que les humains ont fait subir durant des siècles aux milieux humides tient en grande partie à leur ignorance et à leurs préjugés. Mais la valeur de ces habitats est mieux connue aujourd’hui, heureusement. Les marais, étangs, marécages et plaines de débordement comptent parmi les milieux les plus productifs de la planète. De très nombreuses espèces fauniques naissent, vivent et se reproduisent dans ces milieux, y trouvant aussi bien un fabuleux garde-manger que tous les matériaux pour le nid, la tanière ou l’abri. Sans compter
le fait que ces milieux ont aussi pour utilité de filtrer les contaminants, d’absorber les pluies diluviennes, les crues ou les eaux de fonte, et d’emmagasiner des réserves pour les périodes de sècheresse.

Les biologistes du gouvernement du Québec connaissent bien l’importance des milieux humides sur le plan de la biodiversité et savent à quel point ces habitats sont précieux pour assurer la pérennité d’une multitude d’espèces animales et végétales. Les politiciens le savent beaucoup moins, de toute évidence.

1 commentaire:

Stéphane a dit...

Si au moins les milieux humides étaient plus sexy, Laure Waridel, Richard Desjardins, Roy Dupuis et autres écologistes médiatiques pourraient faire état publiquement du scandale. Or, il semble que rare sont ceux et celles qui veuillent se salir les mains sur des dossiers moins glamour. Je ne dis pas cela pour les recaller et remettre en question leur travail. Mais pour lancer le débat sur l'importance qu'ont pris les impératifs médiatiques dans nos décisions politiques, culturelles et écologiques. Il y a une belle réflexion à faire sur l'impact des multinationales de l'écologie (qui drainent des ressources importantes) et les pratiques écologiques moins populaires, moins médiatisés, plus locales, car moins rentables. Les petites catastrophes écologiques se multilplient à notre compte de crédit. Oui à la lutte contre le changement climatique, oui au petit sac en fibre de lin, mais oui aussi aux luttes citoyennes locales visant à protéger notre habitat.