vendredi 9 novembre 2007

Pourquoi ne pas préparer l’après pétrole ?

Par Sébastien Hains, titulaire d’une maîtrise en sciences de l’environnement et consultant en biocarburants pour une entreprise de transformation et de distribution de produits pétroliers.

La stratégie de réduction des gaz à effet de serre des conservateurs suscite avec raison beaucoup de réactions. Il parait clair que le gouvernement Harper tourne le dos à l’ensemble de la communauté internationale en ne s’engageant pas sérieusement dans la lutte au réchauffement climatique. Bien que l’évidence de l’origine anthropique du réchauffement actuel soit établie, le débat entourant la mise au rancart des objectifs de Kyoto néglige souvent de discuter d’autres raisons convaincantes pour délaisser l’usage des combustibles fossiles. Alors que MM. Harper et Baird prétendent que leur plan est réaliste, il est contraignant de voir combien de pays et de spécialistes du monde pétroliers ne voient pas la réalité avec les mêmes yeux.

Difficulté croissante d’approvisionnement en pétrole

Dans un article du Monde diplomatique datant de mai 2006, Nicolas Sarkis, directeur du Centre arabe d’études pétrolières et de la revue Le Pétrole et le Gaz arabes, annonce que l’après pétrole pourrait déjà être commencé. L’article cite entre autre un rapport de l’Agence internationale de l’énergie couvrant la période 2004-2030, dans lequel il est exprimé que «les risques pour la sécurité énergétique s’exacerberont à court terme» et que «la vulnérabilité à des perturbations d’approvisionnements s’accentuera avec l’expansion des échanges mondiaux». Après un survol de la croissance de la consommation mondiale, fortement à la hausse due principalement à la Chine et l’Inde, l’auteur cite les estimations des réserves mondiales de pétrole. Ainsi, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et le Ministère américain de l’énergie (DOE), la consommation mondiale augmenterait de 50% au cours des vingt-cinq prochaines années, passant de 83,2 mbj (millions de barils par jour) en 2005 à 115,4 mbj en 2030, selon l’AIE, et à 131 mbj, selon le DOE. Il aura ainsi fallu au monde 125 ans pour consommer le premier trillion de barils de pétrole, mais il ne faudra que trente ans pour consommer le second trillion, qui correspond au total des réserves prouvées. L’auteur y cite également plusieurs pays dans lesquels les réserves pétrolières ont été grossièrement surestimées, démontrant davantage que la fin du pétrole pourrait être plus proche qu’on ne le pense.

Éric Laurent, journaliste spécialisé en politique étrangère et aux questions pétrolières a publié un livre intitulé La face cachée du pétrole en 2006. Il est également question de la rareté croissante des nouvelles sources d’approvisionnement et des spéculations quant au grossissement des réserves existantes. L’auteur y démontre aussi que le rythme de découverte de nouveaux gisements ne cesse de diminuer alors que les sources actuelles se tarifient. Éric Laurent estime également que la guerre de Bush en Irak serait une stratégie pour sécuriser l’approvisionnement énergétique des Etats-Unis dans le but de repousser l’éminence d’une pénurie d’hydrocarbures. Dans cette perspective, la crise se profilerait pour les années 2008-2010, ce qui veut dire demain. En lisant sur le sujet, il est facile de constater que de nombreux connaisseurs du domaine pétroliers ont des réflexions en ce sens.

Le Canada, grand producteur de pétrole ?

Le Canada pourra-t-il subvenir à ses besoins en pétrole grâce aux sables bitumineux ? Cela est peu possible. D’une part, l’essentiel de la production actuelle est destinée aux Etats-Unis. D’autre part, à peine 1,5 millions de barils par jours sont actuellement produits en Alberta. Avec la volonté du gouvernement Harper de laisser fleurir cette industrie sans contrainte pour mieux approvisionner nos voisins du Sud, la production pourrait tout au mieux augmenter à 3 ou 5 mbj d’ici dix ou quinze ans. Cela est trop peu pour une consommation quotidienne de pétrole au Canada se situant autour de 5 millions de barils par jour, comparativement à plus de 20 millions pour les Etats-Unis. Advenant une crise d’approvisionnement, il est dont très peu probable que le Canada subvienne à ses propres besoins, et ce, en dépit des réserves énormes de l’Alberta. De plus, même si le Canada palliait à une bonne partie de sa demande, les prix de son pétrole suivraient tout de même ceux du marché, ce qui ne nous protègerait pas du marasme économique déclanché par des hausses vertigineuses des cours pétroliers. Sur une consommation mondiale d’un peu plus de 83 mbj, la production canadienne de 1,5 mbj est bien modeste pour avoir une influence significative sur le prix du brut sur le marché international.

Dans ce scénario, ne serait-il pas prudent d’investir davantage dans les alternatives au pétrole ?

Préparer l’après pétrole


Les alternatives au pétrole existent. Avec le nouveau type de batterie lithium-ion, les nouvelles voitures hybrides de Toyota parcourront 200 km en mode exclusivement électrique et pourront être branchées la nuit pour une recharge. Une étude du département américain de l’agriculture a évalué que 30 % des besoins en pétrole des Etats-Unis pourraient actuellement être remplacés par des biocarburants. Avec les nouveaux procédés de production d’éthanol cellulosique et de diésel de synthèse, cette quantité pourrait être accrue. Dans un livre de Paul Roberts paru en 2004, The end of oil démontre que les Etats-Unis pourraient diminuer leur consommation de pétrole de 12 mbj (soit 60 % de leur consommation) simplement en améliorant fondamentalement les voitures et les immeubles. Des percées technologiques dans les domaines de l’éolien et du photovoltaïque sont aussi très prometteuses.

Par le biais de subvention et de déductions d’impôt pour les utilisateurs de nouvelles technologies telles que le photovoltaïque, l’éolien, les voiture écoénergétiques et les biocarburants, les gouvernements ont le pouvoir de nous pousser vers l’après pétrole. Les mesures annoncées par le gouvernement Harper sont timides et démontrent soit un manque de vision, un favoritisme pétrolier, ou les deux. Dans un contexte où le pic pétrolier pourrait être atteint et qu’une rupture des stocks s’annonce en plus des changements climatiques, est-il responsable de continuer à en encourager l’utilisation de cette ressource épuisable ?

Qui est en tête pour le développement des nouvelles technologies ?

Plusieurs pays sont actuellement en tête du peloton coursant pour se sortir de la dépendance pétrolière. La Suède mène actuellement une politique nationale afin de remplacer entièrement le pétrole par des énergies renouvelables pour le transport et les immeubles d’ici 2020. Le Brésil prévoit remplacer l’essence par de l’éthanol d’ici quelques années. Le Danemark produit déjà plus de 20% de son énergie à partir d’éoliennes depuis 2004. Ce pays détient d’ailleurs 34% du marché mondial de l’éolien. Le Japon est en tête de l’industrie automobile avec des voitures de plus en plus écoénergétiques ou hybrides. Toyota prévoit fabriquer une version hybride de chacun de ses modèles d’ici 2012, en vendant ainsi plus d’un million annuellement. L’Allemagne, le Japon et l’Espagne développent de nouvelles technologies alliant photovoltaïque et nanoparticules pour augmenter substantiellement la capacité de capter l’énergie solaire à des coûts économiquement bas.

Les exemples de leadership technologique ne manquent pas.

Mais où en est le Canada ? À part la compagnie Iogen qui développe avec l’Espagne des procédés de fabrication d’éthanol cellulosique (qui permettra de produire de l’éthanol à partir de matière ligneuse non comestible plutôt que d’utiliser du maïs grain comme on le fait actuellement), notre innovation en matière d’alternative au pétrole fait pâle figure. Notre gouvernement s’entête plutôt à soutenir les missions stratégiques américaines et s’évertue à nous alerter qu’une diminution des émissions de gaz à effet de serre nous plongerait dans un gouffre économique. Se basant sur des scénarios économiques catastrophiques élaborés par des proches du pouvoir et non vérifiés ni signés par des experts indépendants, ils insultent notre intelligence en disant qu’ils font preuve de leadership environnemental et technologique.

Un plan réaliste ?

Le supposé réalisme du plan de réduction des GES du gouvernement Harper est douteux. Il ne présente pas de politique innovatrice pour favoriser l’émergence de nouvelles technologies et ne vise que des objectifs de diminution d’intensité de GES plutôt que de quantité absolue. Ce gouvernement semble décidé à réitérer son appui au monde pétrolier et refuse de prendre un tournant que bien des pays ont déjà amorcés. Alors que la majorité des scientifiques s’entendent pour dire qu’il faut réduire les émissions de plus de 75% d’ici le milieu du siècle et que le protocole de Kyoto n’en vise qu’une réduction de près de 5%, il est difficile de voir comment des cibles qui n’atteignent même pas celle de Kyoto peuvent être considérées comme bonnes et réalistes. Sans doute, ce plan est-il «réaliste» pour l’industrie du transport et du pétrole dans son ensemble. Pour les canadiens et le reste de la planète, ce plan constitue plutôt une catastrophe. Et une lourde facture pour les prochaines générations, qui devront composer avec un climat détraqué et des circonstances géopolitiques encore bien plus incertaines qu’aujourd’hui. Ceci sans considérer le fait que de s’enligner derrière les Etats-Unis, qui accusent déjà un retard technologique probablement irrécupérable sur le plan des alternatives au pétrole, risque bien plus de blesser notre économie que le ferait de réellement diminuer nos émissions de gaz à effet de serre.

En somme, en plus de ne pas considérer sérieusement la menace climatique, le plan (qui n’a de vert que le nom) des conservateurs ne prend pas plus au sérieux la crise pétrolière que de plus en plus d’experts s’accordent pour annoncer et ne s’engage pas dans les innovations technologiques nécessaires pour éviter une crise longue et grave autant sur le plan économique que social et environnemental.

Que ce soit le pic pétrolier, une rupture de stock, une augmentation de la demande, la menace terroriste ou les changements climatiques, toutes les raisons convergent pour nous encourager à bouger dans une nouvelle direction et nous libérer du pétrole. Et non de dormir au gaz.

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Avis aux intéressés, il y a au moins une liste de discussion lié à l'Après pétrole.

3 commentaires:

Anonyme a dit...

Affaiblir la base de notre économie en voulant s'éloigner du pétrole qui est si pratique, facilement transportable dans des tuyaux sous haute pression ou dans de simples chaudières, réservoir le plus simpliste qui soit peut sembler appeurant, car inconnu et constitue un imbroglio apparemment insoluble . Mais au contraire, il ne s'agit pas de s'affaiblir mais plutot de s'enrichir avec de nouvelles opportunités. La fin du pétrole est actuellement la chronique d'une mort annoncée, que nous observons, simple citoyen arrivée avec toute sa puissance. L'impact sera terrible. En quelques années, la rareté de la ressource fera grimper les prix à des sommets encore inimaginables: 20$ le litre ? 50$ le litre ? assurément 100$ le litre éventuellement. C'est inévitable. Imaginer le clivage incroyable que cela va créer. Il y aura ceux qui peuvent se déplacer sur nos routes (qui va payer pour ces routes délaissées ?), et ceux qui doivent survivre dans un rayon de bicyclette, soit environ 40 km de la maison, car on s'entend, je peux pas faire plus que 40km en vélo (total)par jour pour aller au travail... De plus en viellissant, les déplacements seront plus courts, et donc les emplois plus restreints. Les marchandises devront aussi voyager moins, car elles deviendront vite inabordables. Qu'allons nous manger au mois de février-mars ? Terminer les fraises et les cantaloupes... Enfin le monde apres pétrole est une sujet absolument captivant et remplis de surprises qui sauront certainement alimenter nos visions et notre force de survie. Merci Stéphane d'avoir afficher cet article ! bye

Anonyme a dit...

Préparer l'après pétrole est une nécessité qui semble effectivement échapper aux décideurs actuels. Je crois qu'il y a tout de même du pétrole pour encore plusieurs années et que la hausse relativement graduelle des prix du barils va permettre l'émergence d'alternatives intéressantes. Selon le Woldwatch Institute, l'ensemble du pétrole actuellement utilisé dans le monde pour le transport pourrait être remplacé par des biocarburants de deuxième génération. Ces derniers utiliserons de la paillasse, des résidus agricoles et forestiers ou autre matière végétale non comestible pour produire de l'éthanol cellulosique. De plus, du diésel de synthèse (syngaz) pourra être produit par pyrolise de matière organique telle que les boues de centrale d'épuration ou le compost et les déchets organiques municipaux. Ces nouvelles technologies sont bien réelles. Une usine pilote d'éthanol cellulosique est en construction au Québec et une première d'envergure commerciale devrait voir le jour sous peu dans le sud de l'Ontario. De plus, une usine pilote de syngaz est actuellement en opération en Europe. Je crois que ces nouvelles technologies seront disponible à grande échelle d'ici une dizaine d'années tout au plus. Nous aurons donc accès à des carburants produit localement et beaucoup moins polluants que le pétrole. Nous nous libérerons ainsi du pétrole. Le temp presse pour que nos politiciens nous propulsent sur ces nouvelles voies prometteuses. Kyoto n'est pas une affaire d'écologiste, c'est bien plus!



SVP M.Harper, RÉVEILLEZ-VOUS!!!

Anonyme a dit...

Effectivement les biogaz pourraient être une solution possible car ces derniers pourraient utilisés les infrastructures existantes de distribution et de transportation. Étant donné l'ampleur de la tâche à accomplir, il serait utopique de penser que ca se produira sans douleur et dans des délais restreints. Au contraire, il est plus logique d'imaginer une transition longue, parsemée d'étapes obligées et il apparait nécessaire d'établir des étapes réalistes pour y arriver. Aussi, pendant ce temps les réserves de pétrole diminueront et le prix à la pome augmentera sans cesse. Plusieurs experts s'entendent actuellement pour dire que le gaz naturel est une voie intéressante pour permettre d'accéder un jour à une économie qui roule à l'hydrogène, ce qui me semble une idée géniale. En effet, le gaz naturel est déjà distribué dans plusieurs foyers, et il est déjà possible de faire le plein à même son entrée de gaz naturel dans son propre garage avec sa prore pompe ! Whow ! ON diminue ainsi considérablement notre quantité de carbone émis dans l'atmosphère. Nous avons donc un système de distribution en place pour une source d'énergie gazeuse, qui pourrait un jour facilement être convertie pour distribuer de l'hydrogène (gazeux) et ainsi contribuer à réduire notre consommation de carbone pratiquement à zéro avec une énergie propre et renouvelable. Bien sur, en prenant pour acquis que cet hydrogène serait produit à partir du solaire ou de l'éolien, et non pas à partir d'un craquage catalytique d'hydrocarbures....
Pour poursuivre la réflexion plus loin et revenir au biogaz, je crois que notre avancée dans le domaine des ressources renouvelables se fera plus lentement que la diminution des stocks de pétrole, et ce entre autre à cause de S.Harper et de ses politiques néo-libérales qui gagnent en générale du terrain à l'échelle de la planète. Par conséquent, d'ici 100-150 ans, on assistera à une rapide diminution de la ressource de pétrole disponible dans nos puits de forage. Quand je dis rapide, je parle de 10 ou 20 ans environs. Ces années seront alors vraiment charnières dans l'histoire de l'humanité. Imaginons que dans 100-150 ans, la population mondiale ait doublée, alors on parlera de bouleverser la vie et la structure économique de l'ensemble des pays du globe, soit 10 à 12 millards d'individus (!), et ce dans un laps de temps minime, ce qui m'apparait absolument astronomique. Espérons que nous sauront manoeuvrer ce virage rapidement et le plus tot possible .... Salut ! Francois